The Good Wife : Séance de rattrapage



Récemment, les 6 premières saisons de The Good Wife, une de mes séries préférées de tous les temps, ont été ajoutées sur Netflix.

C’est peut être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup et je vais me lancer le challenge de vous convaincre que c’est la chance de votre vie de découvrir une série qui en vaut vraiment le coup. Je ne suis pas très bonne vendeuse des choses qui me plaisent, étrangement je fini toujours par m’exclamer en « C’est trop bien !! » « Non mais… C’est trop génial en fait faut absolument regarder », négligeant tout argument objectif et un temps soit peu persuasif, jusqu’à ne déceler dans le regard de mon interlocuteur que le désarroi et probablement la planification d’un plan de fuite (« désolé, j’peux pas rester, j’ai poney »), m’indiquant que je l’ai définitivement perdu.

En tant que grande introvertie de la vie, j’ai établi des stratégies très bas de gamme pour m’intégrer rapidement en société, et évoquer des noms de séries ou de films que tout le monde connaît en fait partie. Game of Thrones, Breaking Bad ou plus récemment Stranger Things sont en général des tickets gagnants. Vous avez peu de chance de faire un flop en pause déj lors de votre premier jour de stage, entouré des 10 autres stagiaires de la boîte, en demandant de manière totalement innocente si quelqu’un aurait par hasard vu le dernier épisode de GoT.

Et si vous avez, comme moi, la chance que ce jour tombe en période de saison explosive, vous aurez peut être même le privilège de faire s’élever des exclamations hystériques à faire trembler les murs de la cafétéria, partagés entre les « Nooooon je l’ai pas encore vu, no spoil !!! » « OMG tu as vu ce qui est arrivé à machin ? » Le tout sous les soupirs méprisants des hommes d’affaire quarantenaires qui se demanderont mais dit-donc qu’est-ce que c’est que cette jeunesse d’aujourd’hui laissez-nous savourer notre gratin de chou-fleur tranquilles, non mais.

À mon grand regret, The Good Wife ne fait partie de ce combo gagnant. C’est une série que j’ai l’impression d’être la seule à regarder, tout simplement parce que je n’ai jamais réussi à la vendre auprès de mon entourage – tout comme Breaking Bad que j’avais commencé à suivre dès sa première saison alors qu’elle était quasiment inconnue en France. Sauf que pour Breaking Bad, la roue a fini par tourner et la série est devenue populaire en cours de route, indépendamment de la promo (enthousiaste mais nulle) que je lui avais donnée auprès de mes proches. Spoiler Alert : la roue n’a pas tourné pour The Good Wife. Depuis 5 ans que je la suis avec la plus grande attention, et aujourd’hui qu’elle est terminée, j’en suis au même constat d’échec. Et C’EST TRISTE. Parce que croyez-moi, c’est vraiment passer à côté de quelque chose.

Note (mise à jour) : sur ma page d’accueil Netflix cependant, je vois la série s’afficher dans la catégorie “Tendances” depuis que j’ai commencé à écrire cet article, il est donc possible que la série ait rencontré un certain succès en France depuis, mais je ne pourrais l’affirmer avec certitude.

Alors préparez-vous une grande tasse de thé et tentons donc de rattraper, en clôturant cette beaucoup trop longue et égocentrique introduction, une effroyable injustice. Et ça tombe bien parce qu’on va commencer à parler de justice, justement.




Note bis : Les extraits vidéos présentés dans cet article sont exclusivement en version originale et sans sous-titres pour la simple et bonne raison qu'ils viennent de la chaîne youtube de CBS. Je m'en excuse platement.

Une série judiciaire

Alicia Florrick est avocate. Enfin, elle était avocate. C’était avant qu’elle laisse tomber son travail pour devenir femme au foyer, et pas femme au foyer de n’importe qui puisqu’elle est mariée au procureur Peter Florrick, un gars qui pèse dans le politique game. Sauf que lorsque Peter, victime d’un scandale qui implique prostituées et détournement de fonds, se retrouve en prison, Alicia est contrainte de reprendre son activité d’avocate, et quand on est une femme d’une quarantaine d’années qui n’a pas pratiqué le droit depuis 10 ans et dont le nom a été traîné dans la boue publiquement dans tout le pays, c’est pas facile de retrouver sa place sur le marché du travail. Heureusement, elle bénéficie de l’aide d’un ancien ami d’université de droit, Will Gardner, qui est désormais associé de son propre cabinet, Stern, Lockart & Gardner, mais avec qui elle entretient une relation ambigüe. Les obstacles ne cessent donc de s’accumuler pour notre héroïne qui doit repartir à la case départ de sa carrière, continuer à soutenir son mari malgré ses trahisons, payer son loyer, s’occuper de ses enfants seule, et gérer les rageux.




Difficile de contourner la question qui fâche alors affrontons-la dès le début : The Good Wife est une série judiciaire. Oui, comme Alice Nevers, le juge est une femme, que ta mamie regarde le mercredi soir en faisant ses mots croisés – Ally McBeal, ou plus récemment Drop Dead Diva qui a connu un certain succès. Alors non, les séries judiciaires ça ne donne pas envie, je vous le concède, c’est d’ailleurs en général à cette étape précise de ma présentation de la série que mon interlocuteur commence à rouler des yeux. Pour les néophytes, les séries judiciaires mettent en scène le plus souvent des avocats ou des juges dans leur résolution d’affaires diverses et variées. Le plus souvent ça se règle au tribunal, mais certaines séries comme Damages par exemple, ne se déroulent quasiment pas au tribunal et se concentrent davantage sur les cas que sur la manière de les défendre. À l’instar d’une série policière qui se concentre sur les chargés d’enquête -  la police, les enquêteurs, les profileurs, ou même les criminels dans certains cas – la série judiciaire prend le point de vue des personnes chargées de défendre les accusés, ou d’engager les poursuites contre un accusé, avec le droit comme arme – mais il y a souvent un peu d’enquête aussi, sinon ça serait pas rigolo. Les séries judiciaires américaines, c’est un peu exotique pour nous français, parce que le droit là-bas ne fonctionne pas du tout comme chez nous. Les États-Unis ont une culture de la justice vraiment très différente de la nôtre, et on appuiera cette idée en vous citant ce cas du mec qui s’est cassé une jambe en glissant sur du coca à McDo, qui a porté plainte et a gagné, ce qui expliquerait la présence de ce fameux panneau jaune “Attention ça glisse” même quand ça ne glisse pas du tout. Je ne sais pas si c’est vrai mais ça résume assez l’idée. Le droit, c’est un domaine très spécifique et qu’il faut bien connaître pour en parler, et même après 7 saisons de the Good Wife je ne vais pas prétendre être devenue spécialiste, cependant cela m’a permis d’effleurer la problématique alors que je m’en battais vraiment les ovaires avant, et c’est ultra intéressant.



De gauche à droite, Alicia Florrick, Will Gardner et Diane Lockart

Au-delà de ça, the Good Wife pour moi c’est un peu le boss final des séries judiciaires. Je pense qu’elle peut plaire non seulement aux sceptiques du genre, mais aussi aux amateurs qui auront vu une dizaine de séries judiciaires auparavant, et qui se diront qu’ils ont sans doute tout vu sur le sujet. Je trouve que ce qui fait l’originalité de the Good Wife par rapport à son genre, c’est sa maîtrise de l’art de lier constamment les affaires traitées à la ligne narrative des personnages – à la fois à leur vie privée mais aussi aux intrigues politiques ou celles du cabinet d’avocat. Car oui, les intrigues des affaires et le fil rouge des saisons s’entremêlent toujours. Dans certains épisodes, ce sont juste quelques détails rapides, des références subtiles, dans d’autres, l’épisode entier est basé sur cet entrelacement d’intrigues qui le rend tout simplement jouissif. Car croyez-moi, rien n’est laissé au hasard. Ce petit événement placé négligemment au détour d’un épisode de la saison 1 peut avoir une incidence monstrueuse trois saisons plus tard. C’est du génie. De la même manière, il est habituel de retrouver les mêmes avocats adverses ou les mêmes juges, dont la caractérisation est toujours soignée et réfléchie : leur position politique, par exemple, est importante. Si l’un des juges est caractérisé comme ouvertement démocrate, on sait par avance comment il va se positionner par rapport à l’affaire, et la stratégie adoptée par les avocats est influencée également. De même, chaque avocat a sa manière bien à lui de défendre ses affaires – on a la mère au foyer qui se ramène à chaque fois avec toute sa marmaille pour décontenancer le tribunal, la jeune avocate blonde qui joue les ingénues pour adoucir le juge, l’handicapé qui se sert de sa maladie pour attirer la compassion.



Il s’agit de Louis Canning, personnage souffrant de dyskinésie et joué par Michael J. Fox – oui, celui de Retour vers le futur - qui souffre lui-même de la maladie de Parkinson

Autrement dit the Good Wife joue vraiment de son format feuilletonnant (en opposition à une structure procédurale, ou chaque épisode possède sa propre intrigue et peut être apprécié indépendamment des autres) pour développer un univers complet, auquel il se rapporte autant pour ses histoires principales que secondaires.

La série trouve sans cesse de quoi se renouveler, parcourant pour cela tout le paysage judiciaire américain (et même étranger) : comment le droit varie selon les États, comment se déroule un tribunal militaire, comment défendre une affaire au sein d’une université… Parfois, on change même de point de vue sur les affaires, comme dans l’épisode 12 de la saison 5, en suivant les jurés (un peu dans le genre de Douze hommes en colère). En bref, si vous avez peur de vous ennuyer en suivant « une série judiciaire » n’ayez crainte, the Good Wife s’efforce de renouveler son genre à chaque épisode, oui, même au bout de 7 saisons, et en plus de vous apprendre plein de trucs, elle apporte toujours une réflexion morale autour de ses affaires pour qu’il ne s’agisse pas seulement d’un prétexte au divertissement, mais aussi d’une piste de réflexion. C’est d’ailleurs ce qui m’amène au deuxième point et deuxième atout de la série.


Une série d’actualité

The Good Wife se déroule dans un monde moderne, et s’il est certain que la série développe son propre univers, son synopsis ne dissimule pas ses intentions de nous placer dans un contexte politique réel et des enjeux très actuels. Vous vous souvenez du scandale de Tiger Wood ? De l’affaire DSK ? Alors, certes, quand l’affaire DSK s’étalait dans les médias en faisant s’affoler le monde entier, The Good Wife en était déjà à sa troisième saison. Mais en voyant les images de sa femme l’accompagnant sous les flashs des journalistes, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle immédiatement. Certes, aborder la politique dans une série peut faire fuir, j’étais moi-même très peu intéressée par la politique et l’actualité en commençant la série, et pourtant…

Il s’agit d’un des facteurs qui m’a le plus pris aux tripes tout du long. Car le contexte contemporain de The Good Wife permet aux scénaristes d’amener subtilement une réflexion sur des faits d’actualité, et parfois même de proposer une critique acerbe sur la société, les médias, ou certains personnages publics. C’est d’ailleurs l’élément qui me pousse à croire qu’une critique de The Good Wife a totalement sa place sur un site comme BSOL : si on peut imaginer qu’elle se destine à un public mature, genre, nos parents, il s’agit pourtant d’une des séries les plus justes qu’il m’ait été donné de voir sur les nouvelles technologies, les problématiques soulevées par le numérique et internet. Pour vous donner un exemple, plusieurs épisodes entiers sont consacrés au cours des saisons à la surveillance exercée par la NSA, dont les représentants sont de jeunes geeks qui passent leur temps à s’envoyer des vidéos de chèvre. Rien que ça.



L’équivalent de Google, baptisé ici « Chumhum », est l’un des enjeux réguliers des affaires d’Alicia, soit parce qu’elle doit défendre – ou attaquer – son directeur, soit parce que cette plateforme est en question dans ses affaires, et des questions telles que le droit d’auteur (en parallèle avec les problématiques soulevées par la politique de plagiat outrageuse exercée par Youtube - voir épisode 11, saison 5), y sont abordées de manière frontale. L’omniprésence de Chumhum dans la série est d’ailleurs bien représentative de l’importance qu’à Google et ses différentes plate-formes dans notre propre vie, à tous les niveaux.

L’épisode 13 de la saison 3 intitulé “Bitcoin for Dummies” met en scène le créateur du Bitcoin dans un procès qui l’oppose aux banques. Il expose les problématiques que soulèvent l’existence d’une monnaie numérique totalement indépendante de tout système lucratif.

L’épisode 20 de la saison 4 reprend quasiment point par point l’affaire de viol du Maryville où le coupable n’avait jamais été inquiété. La victime avait été contrainte de déménager à cause des représailles, et les Anonymous avaient fini par intervenir pour rendre publique des preuves de la culpabilité du violeur, qui n’ont au final pas pu être utilisées compte tenu de la manière dont elles avaient été obtenues.

Les exemples sont nombreux et abordent des problématiques très modernes avec brio, là où d’autres séries se laissent dépasser par leurs propres ambitions de modernité, parce qu’elles maîtrisent mal leur sujet. En clair si vous êtes intéressé par le droit autour des questions du numérique et par les problématiques de la vie privée sur internet, je vous conseille fortement d’aller jeter un œil ne serait-ce qu’aux épisodes 13 et 18 de la saison 5 (même si ces sujets sont souvent abordés tout au long de la série), qui, en plus d’être des merveilles d’écriture, apportent une réflexion très intéressante sur ces sujets, peu abordés dans la fiction. Et là, on arrive au troisième point…


Une série engagée

Si vous pensez que le féminisme « c’est du machisme inversé », ou que « oui mais le racisme anti-blanc », je pense qu’arrivés à ce stade l’article, vous avez terminé de boire le thé que vous vous étiez préparé au début. Bien. Je vais donc vous proposer de vous remplir votre tasse vide de toutes vos larmes en lisant ce paragraphe – pour les autres, vous pouvez vous refaire un thé.




Si the Good Wife reste assez monochrome dans son casting, on peut quand même relever la présence assez exceptionnelle de plusieurs personnages féminins forts, à commencer par son héroïne, « Sainte-Alicia » comme elle est surnommée dans la série. Alicia Florrick porte littéralement la série. À elle seule, elle soulève des problèmes sur la perception du genre dans le monde du travail et dans la sphère politique, sa place dans la société ; le contraste entre ce que ses proches attendent d’elle, ce que les médias attendent d’elle, ce qu’elle fait, ce qu’elle veut, et ce qu’elle est vraiment. En effet, le personnage connaît une évolution considérable au fil des saisons, mais une évolution très progressive. Il est difficile de s’en rendre compte lorsqu’on suit la série au fur-et-à-mesure, mais certains flashbacks ou un retour aux premières saisons sont frappantes. Au départ, Alicia est une femme au foyer qui se retrouve propulsée dans un monde du travail qu’elle a quitté et dans lequel elle doit se refaire une place. Elle est à la fois une mère de famille et une femme d’affaire et il lui est très difficile, surtout au début, de concilier les deux : mise en concurrence avec Cary Agos dans la saison 1, jeune avocat tout juste sorti de l’école de droit, célibataire et ambitieux, elle souffre de son statut de mère qui l’empêche de faire des heures supplémentaires et lui impose un rythme plus soutenu. Lorsqu’elle a le malheur d’être ambitieuse en politique et dans son travail, elle est stigmatisée et découragée, là où on célèbre les projets de ses homologues masculins. Bref, Alicia se bat sur tous les fronts, et sans relâche. Elle souffre également de cette volonté de correspondre à ce modèle de femme idéale qui se tient aux côtés de son mari contre vents et marées, puisqu’elle sacrifie son bonheur personnel à celui des autres, un trait de caractère qui étouffe sa vie sentimentale et qui lui porte préjudice lorsque son nom de famille est associé à celui de son mari. Néanmoins, c’est en s’exposant à ces obstacles qu’elle parvient à s’endurcir et à viser plus haut, et c’est avec une satisfaction immense que l’on voit son personnage passer de l’épouse idéale à un personnage féminin fort et beaucoup plus nuancé.



Exemple de slayage intense de Queen Alicia

Du côté de ces personnages féminins forts, on a Diane Lockart, pilier du cabinet Stern, Lockart & Gardner, dirige son cabinet d’une main de maître, et ses convictions démocrates soulèvent des problématiques intéressantes sur l’éthique dans le travail d’avocat. Certaines de ses affaires à propos du port d’arme ou de l’avortement sont notamment passionnantes.

Je pourrais également vous citer Kalinda Sharma, l’enquêtrice du cabinet d’avocat à l’orientation sexuelle ambigüe, l’un des personnages les plus populaires de la série, qui brille par son intelligence et son audace, femme fatale mystérieuse et amie de l’héroïne qui n’a rien à envier aux hommes en matière de force physique et morale. Malheureusement, le personnage souffre énormément de son traitement par les scénaristes dans les dernières saisons, à cause des conflits existants entre son interprète Archie Panjabi et Julianna Margulies, interprète d’Alicia.

Plusieurs fois, la question du féminisme est abordée de manière détournée (le mot féminisme est rarement prononcé) dans des affaires. Les affaires de viol notamment sont traitées très sérieusement, dénonçant la culture du viol et la volonté des institutions de fermer les yeux plutôt que de régler le problème (épisode 8 de la saison 6).

J’apprécie la diversité de ces personnages féminins qui ne correspondent pas aux stéréotypes habituels, ou qui en jouent. Les minorités sexuelles sont également représentées dans des personnages intéressants et nuancés : la bisexualité de Kalinda Sharma qui intrigue beaucoup son entourage, l’homosexualité complètement assumée du frère d’Alicia (abordée dans l’épisode 3 de la saison 2)… L’épisode 9 de la saison 4 soulève notamment une problématique autour des droits LGBT aux États-Unis lorsqu’il s’agit de dénoncer les différences légales entre l’acte de mariage hétérosexuel et celui des personnes de même sexe. Cette volonté de diversité se retrouve aussi dans la représentation de personnages handicapés ou malades, comme avec l’avocat rival d’Alicia Louis Canning, qui loin de se réduire à son état physique, constitue un personnage fort et admirablement détestable.


Loin de se placer comme le porte-étendard d’une société idéale dans laquelle toute ethnie et tout genre seraient égaux, The Good Wife place au contraire ses personnages féminins et/ou racisés dans un contexte hostile, oppressif, mais en soulignant les problèmes de ce contexte et en le dénonçant. Et même si Alicia est décrite comme une « sainte », elle reste blanche et est, elle aussi, coupable du racisme comme de l’environnement systémique dans lequel elle-même s’inscrit, et c’est aussi cela qui est dénoncé. Encore une fois, des épisodes entiers sont dédiés à la question du racisme et son traitement judiciaire : dans l’épisode 10 de la saison 1, Alicia affronte un juge qui discrimine les afro-américains, l’épisode 6 de la saison 7 aborde le sujet difficile du racisme et de la discrimination à l’embauche, tandis que l’épisode 9 de cette même saison se concentre sur le procès contre les développeurs d’une application de géo-localisation des quartiers “à risque”, accusés de cibler les quartiers majoritairement afro-américains, ce qui nuit à leurs commerces. Le racisme ordinaire y est dénoncé avec cynisme.

Cela peut paraître anodin mais il est très rare que ces thématiques soient traitées dans des séries de fiction grand public. J’étais moi-même parfois étonnée du risque pris par les scénaristes dans leur approche. En tout cas, c’est toujours avec beaucoup de justesse et de discernement que la question du sexisme et du racisme sont abordés. On regrettera d’ailleurs le manque d’acteurs racisés au casting malgré une approche qui se veut critique sur ces sujets – notons qu’ils sont quand même plus présents que dans la moyenne des séries et leurs personnages sont très nuancés et bien écrits, ce qui est rarement le cas ailleurs.


Une série à personnages

The Good Wife propose un nombre non négligeable de personnages, récurrents ou ponctuels, parfois de simples guests, et pourtant, chacun d’eux est écrit avec talent. Il me serait difficile de vous citer un personnage qui n’en vaudrait pas le coup, car pour moi chacun a sa petite particularité qui le rend jouissif à regarder et qui constitue le piment des intrigues. Au contraire, je pourrais parler des heures de chacun d’eux, du plus insignifiant au plus élémentaire, pour essayer de vous démontrer à quel point ils valent le coup d’être découverts. Je pourrais vous parler d’Eli Gold, chef de campagne de Peter Florrick le mari d’Alicia, joué par l’incontournable Alan Cumming, dont chaque apparition est un délice d’humour, d’intelligence et de jeu d’acteur génial, ou même du personnage de l’avocate Elisabeth Tascioni, aussi brillante qu’excentrique, ou encore le client d’Alicia Colin Sweeney qui repousse les limites de l’éthique et de la morale, questionnant sans cesse les avocats sur leur métier, sur la frontière étroite entre la vérité et le mensonge, dérangeant le spectateur comme l’héroïne, à grands coups d’humour noir et de crimes sans queue ni tête.

L’écriture des personnages est en effet l’une des grandes qualités de cette série, et elle représente pour moi tout l’intérêt d’un tel média : sur 7 saisons de 23 épisodes de 40 minutes, il y a énormément de choses à développer.




Il est facile de critiquer les séries pour leur côté racoleur : les épisodes sont nombreux, et les saisons tout autant, et à l’instar d’un film qui se doit de dire le maximum en un minimum de temps, on peut reprocher aux séries d’au contraire étendre les intrigues afin de remplir ses épisodes pour tenir le spectateur le plus longtemps possible. Je ne nie pas que c’est le cas pour certaines, mais pour moi, c’est une critique à nuancer. Car lorsqu’on est face à une série comme The Good Wife, il est difficile de critiquer l’effort fourni pour apporter une problématique et un axe de réflexion à chacun des épisodes malgré leur quantité. Je n’ai rien connu de comparable concernant l’évolution de personnages que celle proposée dans cette série (mis à part, peut-être, dans Breaking Bad, qui est au moins aussi haute dans mon estime). Le fait de suivre ces personnages sur une durée aussi longue est utilisé brillamment pour développer des intrigues et des relations puissantes.

L’exemple le plus frappant est bien sûr celui d’Alicia et son chef/love-interest/ami Will Gardner, qui m’a personnellement tenue en haleine tout du long. Leur relation ambigüe et forte sort complètement des sentiers battus et prend des risques puisqu’il ne s’agit pas d’un schéma relationnel classique : Alicia est mariée, il est son supérieur, ils ont laissé passer leur chance des années plus tôt, et sont contraints de travailler ensemble. Leur complicité est palpable, mais la tension aussi. Vont-ils céder ? Ne vont-ils pas ? La série nous fait miroiter ce couple toujours avec intelligence, sans plonger dans un fan-service racoleur (coucou Arrow qui nous colle un “Olicity” de merde juste parce que les fans l’ont voulu), et avec un dosage très subtil. Cette romance placée en arrière-plan des intrigues et qui est pourtant d’une importance capitale dans la caractérisation de notre héroïne est vraiment écrite avec talent, et donne également à la série ce petit plus que les autres n’ont pas.




De même, les relations entre Alicia et son mari Peter ne cessent d’évoluer au fur-et-à-mesure de la série, et pour cause : elle ne s’appelle pas « The Good Wife » pour rien. Le personnage d’Alicia est intimement lié à celui de son mari. Cela fait partie de la définition même de son personnage : c’est une épouse, et ce statut d’épouse la poursuit dans chaque moment de son travail et de sa vie personnelle, ombre planant au-dessus de ses amours, ses projets, ses envies, bref, elle ne peut pas s’en détacher. C’est d’ailleurs ce qui rend la série aussi prenante et intéressante à suivre : Alicia jouit de son statut d’épouse d’homme politique autant qu’elle en souffre, et tout l’intérêt est de voir comment cette femme forte parvient à en jouer, à s’en détacher, puis à retourner la situation pour que finalement, ça ne soit plus Alicia qui ait besoin de son mari, mais son mari qui ait besoin d’elle.



Une série classe, intelligente et qualitative

Même si j’adore les séries et que j’ai un petit panel de mes préférées, je peux vous garantir qu’aucune ne surpasse la qualité de The Good Wife sur la durée. J’aime à dire que cette série est d’une constance presque surnaturelle. Que ça soit Game of Thrones (et je pense que très peu viendront me contredire) ou Breaking Bad, toutes les grosses séries, même les plus populaires et les plus acclamées, ont au moins une saison, ou un épisode décrié par la critique et par les téléspectateurs. Ça n’est pas le cas de The Good Wife. Je ne vais pas vous mentir en vous disant que toutes les saisons sont excellentes, les deux dernières par exemple, si elles restent d’une qualité supérieure à toutes les séries qu’il m’ait été donné de regarder, souffrent d’un probable manque de budget et d’une écriture qui s’essouffle. Cependant rappelons qu’il s’agit de 7 saisons !

Pour moi, les trois premiers épisodes sont clairement les plus difficiles à apprécier : il s’agit d’une entrée dans l’univers, d’un budget moindre, on ne s’attache pas immédiatement aux personnages… Mais une fois ces premiers épisodes dépassés, la série ne fait que grimper en qualité. Encore. Encore. Et encore. Quand on croit avoir atteint le seuil qualitatif que toute bonne série est contrainte d’atteindre, BAM on nous en rajoute une couche. Autant de constance dans la qualité est inestimable. Cherchant sans cesse à se renouveler dans sa structure, dans ses thèmes et dans ses procès, The Good Wife ne se repose jamais sur ses lauriers en nous fournissant une formule grossière. Chaque saison semble meilleure que la précédente. Et le plus bluffant, ce que ça n’est pas en nous vendant du grand spectacle pour notre simple divertissement, mais en redoublant d’astuces et d’ingéniosité, en nous faisant réfléchir, en entremêlant les intrigues, pour du sensationnel de l’esprit. C’est la classe. Tout simplement. Cette série pète globalement la classe. Ses personnages sont classes, ses décors sont classes, ses intrigues et son écriture sont classes… C’est brillant, c’est intelligent. Et voilà, j’ai fini par me perdre dans des superlatifs pédants. Enfin au bout de 23 000 signes, ça va, je trouve que j’ai bien tenu le coup.




En effet, je ne taris pas d’éloges sur cette série, mais croyez-moi si je le fais c’est que je suis persuadée qu’elle le mérite. Pour ma part elle m’a fourni plus de 5 ans de pur bonheur télévisuel, se place parmi mes modèles d’écriture de scénario et je regrette beaucoup son manque de popularité en France.


Évidemment, je ne me voile pas la face. Je sais que The Good Wife ne vend pas du rêve, et sa diffusion sur M6 en février 2011, n’a fait que confirmer ma peur que les gens n’accrochent pas. Moi-même je suis passée par le stade du rejet avant de me plonger dedans, il a d’ailleurs fallu qu’un ami sériphile me plante devant un épisode sur sa PSP (pas super optimisé pour du visionnage de série, mais bien pratique quand même) pendant un long voyage en car pour que je me décide à m’y mettre. Mais c’est aujourd’hui sans regret, et je suis très heureuse que la série sorte sur Netflix, permettant à chacun (moi la première), de la redécouvrir, et peut être, enfin, de l’apprécier à sa juste valeur.


Alors, je vous en prie, regardez-la, et si je n’ai toujours pas réussi à vous convaincre, au moins j’aurais la satisfaction d’avoir essayé, et je laisserai cet article comme un remerciement final à une de mes séries préférées de tous les temps.